SEISME DANS LE CHAMP SONORE – 3 : MÉMOIRE SÉLECTIVE

CHEMIN A TRAVERS TABLEAUX

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SEISME DANS LE CHAMP SONORE (suite de l’article de Victor CUPSA)

  1. MÉMOIRE SÉLECTIVE

 La discussion née de cette conférence, la façon dont elle fut commencée et menée, révèle un mal beaucoup plus profond. Elle a pollué et en même temps dépassé la sphère de l’art, pour se situer dans celle du sociétal suite au grave malaise de nature politique installé de très longue date. Le sujet est immense, je ne fais que l’effleurer ; il sera forcément un peu schématique. C’est la masse immergée de l’iceberg.

Sur l’ensemble de la discussion on remarquera la panoplie de références exclusivement prise dans la sphère de l’idéologie de la période hitlérienne avec le vocabulaire afférent : nazis, fachos, troisième Reich, retour nauséabond des années trente, bête immonde, révisionnisme, négationnisme et j’en passe. C’est une caractéristique qui attire l’attention en même temps sur la terminologie peu flatteuse à l’endroit de la dodécaphonie.

Avant d’aller plus loin il serait bon d’éclaircir cette histoire des « années trente ». Qu’entend-on exactement sous cette appellation, que doit-on comprendre ? Exclusivement l’avènement de la très bien connue « peste brune » en Allemagne ? Ou sont-ils inclus dans l’esprit de ceux qui l’emploient, les assassinats en masse, cinq à sept millions de morts par la faim (l’Holodomor)* organisés froidement en Ukraine par les Soviets et leur guide, l. V. Staline, Père des Peuples ? Les dizaines de milliers d’assassinats légaux suite à des procès aux sentences connues à l’avance, dans la période enregistrée sous le nom de « Procès de Moscou », (Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Toukhatchevski, etc.) ? C’était toujours pendant les mêmes « années trente » ! La clarification me semble souhaitable.

On saupoudre l’argumentation de citations de Furtwängler et d’Ansermet qui, à cause du désaccord ou du refus de la dodécaphonie (position esthétique) sont qualifiées automatiquement de manifestations déterminées par des sympathies envers le régime national socialiste. (position politique). Est-ce équitable ? Est-ce normal ? Pourrait-on déduire peut-être que ceux qui n’aiment pas l’atonalisme, seraient nazis ou bolcheviques ?

Il me semble hautement significatif qu’il n’y ait aucun rapprochement, aucune citation ou référence aux directives édictées par le C.C. du P.C.U.S. à l’époque du règne de Lénine, puis sous Staline et d’Andreï Jdanov suivis par d’autres koultourniks de la même consistance intellectuelle. Tout comme elles furent fraternellement alliées pour le dépeçage de la Pologne en 1939, suite à l’accord Molotov-Ribbentrop, les deux puissances totalitaires « des années trente » ont été sur la même longueur d’onde dans le domaine de la « suprastructure » culturelle. Totalement et absolument unies dans le dénigrement réservé à la seconde école de Vienne (Schönberg, Berg, Webern) ainsi qu’à leurs élèves, leurs suiveurs et autres sous influence. Même traitement envers la peinture et la sculpture moderne (Kandinsky, Klee, Dali, Brancusi, Arp, Calder et d’autres).

En outre, la citation d’un intervenant attribuant à la tant méprisée ménagère, l’observation concernant la capacité de son fils de cinq ans de faire la même chose qu’un barbouillage « moderne », appartient en propre à Nikita S. Khrouchtchev. Plus précisément, il faisait référence à un âne qui pourrait peindre, disait-il, avec des coups de sa queue mouillée dans des couleurs ! (Ce n’est pas correct de lui en enlever la paternité). Il détournait ce que son conseiller culturel avait dû lui souffler : l’inénarrable canular de Roland Dorgelès. En 1910 il présente au Salon des Indépendants une peinture intitulée Et le Soleil s’endormit sur l’’Adriatique effectivement réalisée par un âne et signée par Aliboron (J. R. Boronali); elle fut acceptée par le jury.

ll serait bon aussi d’avoir en mémoire que l’influence idéologique du nazisme s’arrête en 1945, tandis qu’en U.R.S.S. l’interdiction, l’aversion active contre la dodécaphonie et dérivées, a duré jusqu’à la fin calamiteuse du régime (1989). Ils ont continué entre 1945 et 1989 à employer à l’endroit de « l’art moderne » en général, les mêmes mots que le frère disparu : « décadent, dégénéré, cosmopolite, élitiste, enfermé dans sa tour d’ivoire, art bourgeois (sic) méprisant le peuple », « ce n’est pas de la musique, ce sont des bruits malsains ». Jdanov, Goebbels, même combat. Il faut souligner que ces termes sont restés en usage jusqu’à la fin du régime.

Personne ne traduit ses indignations, ses récriminations par des d’appellations telles que : jdanovisme, stalinisme, encore moins léninisme ou communisme, trotskisme, ou encore aberrations esthétiques sorties tout droit de la dictature du prolétariat. Rien !

Soigneuse séparation, entretenue en permanence même après l’écroulement de l’empire, par une méthode qui s’est avérée performante : instillation à répétition pendant de longues années dans les cerveaux des victimes, des produits idéologiques suggérés, alternés avec des greffons administrés en permanence, transformant le greffé en inconditionnel. On obtenait ainsi le bien connu spécimen à l’amnésie sélective et à l’absolution partisane si répandu un peu partout.

C’est dans l’après-guerre que s’installe en Occident autant que dans les pays de l’Est, un imbroglio malin, une situation perverse, on peut oser le terme de schizophrènie, mais pas pour les mêmes raisons. C’est là qu’on arrive au vif du sujet : l’ingérence sournoise pour les uns (ceux de l’Ouest), violente pour les autres, (ceux de l’Est) de la politique dans l’art.

Après la guerre, le monde de la culture en Occident particulièrement en France est largement sous l’influence du P.C.F. (parti frère) inféodé ferme au P.C. de l’U.R.S.S. (Le Parti Père). Après avoir été libéré par les Américains, « le monde de la culture » en guise de reconnaissance devient anti américain, car majoritairement de gauche, ou pire, communiste, atteint d’une lourde amnésie sur la terreur, sur les cent millions de morts au Goulag, (chiffre très prudent avancé par des chercheurs du C.N.R.S.). Il occulte courageusement le manque de liberté de création, la réprobation totale et violente des tendances modernes (entre autres l’atonalisme).

S’installe une situation éprouvante : dichotomie à l’origine de troubles affectant gravement l’unité de l’individu, inscrite de surcroît dans la durée.

Être homme de culture, progressiste déclaré, communiste le plus souvent ou homme de gauche, tout en étant opposant aux positions élaborées, prônées, imposées par les plus hautes instances de l’organe idéologique du Parti auquel on appartient, c’est une catastrophe majeure pour l’intégrité du psychisme. Ce n’est pas un état de nature à sauvegarder la plénitude, l’unité, la probité de l’être.

À revoir les relations invraisemblables d’ambiguïté, les contorsions à la limite de la nausée d’Ilya Ehrenbourg avec les Triolet, Aragon, Picasso dont la seule œuvre publiée en zone soviétique fut un dessin représentant La Colombe de la paix. Avant l’écroulement,  Guernica dans quelques revues spécialisées, sans omettre de rappeler lourdement qu’il était « membre » (du parti).

Le langage outrancier utilisé dans cette polémique me semble issu en ligne directe d’un état que je qualifierais de schizoïde comme conséquence de la dichotomie mentionnée. Concrètement : état de déséquilibre ayant pour cause les micro et macro traumatismes dus à la soumission de l’individu envers une organisation violente et brutale issue d’une idée politique et l’insoumission, l’inacceptation sur le plan intellectuel, esthétique et psychique des orientations dans le domaine professionnel, en l’occurrence la doctrine culturelle, les idées véhiculées sur la suprastructure. État cornélien, nuisible, pouvant induire des lésions psychiques souvent irréversibles. Cette charge idéologique commune, identique aux deux régimes engendrés par les deux régimes totalitaires « des années trente » fut un fardeau lourd à porter. S’en débarrasser devint une nécessité politique, impérative pour le bon fonctionnement de l’être, pour son bien-être psychologique.

La solution, relativement simple, consiste en un transfert habile de la suprastructure idéologique commune dans le domaine des arts (références lexicales comprises) sur le dos du frère détesté, le cadet, (né en 1922)*. En lui passant la charge, il devient seul dépositaire de l’abomination. L’autre, l’aîné, (né en 1917)**, le bien-aimé, en lui accordant l’absolution sans doute comme apanage du droit d’aînesse, est ainsi (virtuellement) déchargé. Ne portant plus le fardeau infamant, on pouvait l’aimer sans retenue, s’y abandonner sans remord, le suivre comme des taupes dans la « Marche Triomphale » qui le portait en cadence bien rythmée sur le chemin menant vers les « Aubes Lumineuses de l’Avenir Radieux » en train de se lever à l’Est, tout comme le Soleil lui-même. Consciences en paix bien sûr, limpides, transparentes comme l’eau de source. Cheminement ensemble… « Les idiots utiles » (Lénine).

* Naissance du national- socialisme.

** Début de la révolution bolchevique.

*** En ukrainien : extermination par la faim. Combien d’Occidentaux connaissent-ils le mot Holodomor ?  La Grande Famine d’Ukraine, des années 1930, reste une des plus terribles périodes du stalinisme, avec 5 à 7 millions de victimes.

(À suivre)

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