DANS ARLES… LES ALYSCAMPS

 

LES ALYSCAMPS, VAN GOGH

LES ALYSCAMPS, VAN GOGH

Le 3 février 2012 j’annonçais sur ce blog une conférence du poète Daniel Ancelet sur son collègue Paul-Jean Toulet, l’auteur – entre autres – des célèbres Contrerimes. Pour mémoire, j’y donnais le classique : « Dans Arles, où sont les Alyscamps… »

La semaine dernière, je reçois un commentaire qui me demande, très poliment, de corriger deux erreurs dans cette copie :

  • écrire Aliscams et non Alyscamps

  • écrire Arle et non Arles.

Une demande polie, un peu mécanique (retrouvée à l’identique sur le web), étonnante, voilà qui pousse à la réflexion.

Concernant la correction manuelle de Toulet sur le « tapuscrit », j’ai tendance à penser qu’il devait s’agir des épreuves, mais passons !

Plus important est de considérer les corrections demandées qui concernent un i pour un y et un p à supprimer, ainsi qu’un s pour Arles.

Et plus encore, pourquoi ? Oui, pourquoi un auteur impose-t-il une graphie, sinon défaillante, du moins plus qu’inhabituelle ?

Écrire Aliscams et non Alyscamps ?

Considérons les deux modifications dans ce mot :

– Alyscamps ou Alyscams ?

Le mot Alyscamps provient de Alysii campi, (originellement Elysii campi) les Champs Élysées (domaine des morts valeureux) et pour peu qu’on tienne à l’étymologie, il n’y a pas de raison de supprimer ce fameux p. Toulet possédant une vaste culture, on imagine mal le poète se muer en réformateur dysgraphique à la mode Haby éduc’ nat’.

Il est plus raisonnable de penser que Paul-Jean Toulet se référait à une graphie occitane. Le terme Alyscams est attesté tant dans les différents sites occitans que par Boucoiran dans son Dictionnaire analogique des idiomes méridionaux 1. Il cite lui-même Canonge (1867) :

D’aquèu jour pertout lou vegueron,
Gai coumo au tems de si vint ans ;
Sabien pas, li que s’estouneron,
Ç
o qu’es lou méu di z’Alyscams !

Si nous suivons cette piste et supprimons le p, reste la deuxième question :

  • Alyscams ou Aliscams ?

L’idée nous est venue de retrouver le fameux Jules Canonge (1812-1870) écrivain auteur d’un légendaire arlésien intitulé Brune-la-Blonde ou La Gardienne des Aliscamps (La Gardiano dis Aliscamp) 2

Surprise ! Apparition du i remplaçant le y, mais réapparition du p que l’on pensait avoir enterré grâce aux références précédentes, et suppression du s final en langue d’Oc, repris quelques pages plus loin, au début de l’histoire (avant de redisparaître plus tard…)

Dis Aliscamps s’avès pa vis
La gardiano jouino é poulido
Bruno-la-Bloundo, m’es d’avis
Qué sabès pa ço qu’es la vido.

Des Aliscamps si vous n’avez pas vu
La gardienne jeune et charmante,
Brune-la-Blonde, il m’est avis
Que vous ne savez pas ce qu’est la vie.

Écrire Arle et non Arles ?

Ici, notre commentateur se veut plus précis : « sans S à Arles pour éviter d’ajouter une neuvième syllabe dans un poème en octosyllabes ».

Acceptons… momentanément, mais réfléchissons.

Il est bien certain que ce vers est octosyllabique (le vers et non le poème en sa totalité !). Il est non moins certain que ce compte des syllabes, en français doit tenir compte du e muet, ce terrible e dit muet, caractéristique du génie de la langue, car associé à ses liaisons, et donc, dans le cas de la poésie, au compte des syllabes déclamées et à l’équilibre audible des vers.

La métrique s’en tient aux règles suivantes :

  • le e final d’un vers ne compte jamais,

  • le e final d’un mot situé dans le corps d’un vers compte s’il est suivi d’une consonne

  • le e final d’un mot situé dans le corps d’un vers ne compte pas s’il est suivi d’une voyelle.

C’est à cette dernière règle que se réfère notre commentateur pour expliquer Arle et non Arles. Mais cela ne tient pas, car, la métrique sert d’abord à déclamer un poème et non à l’orthographier, sinon il faudrait distinguer graphiquement les diérèses et synérèses. (Je laisse de côté le cas résiduel du mot encor’).

En effet qui, parlant un bon français, prononcerait Dans Arles z’où... ? Et quel amateur de poésie, forcerait à l’extrême un accent local jusqu’à « Arleu » ou « Arlesse », pour rajouter une neuvième syllabe ? En quelque sorte, il faut prononcer le nom Arles à la française (arl) sans nécessité d’en modifier l’orthographe pour que le vers reste octosyllabique.

Or Toulet avait insisté pour écrire – je dis bien écrire et non déclamer – Aliscams à l’occitane. S’il y a une raison pour écrire Arle et non Arles, c’est la même. Preuve en est, la distinction très précise du Cercle occitan du pays d’Arles qui se décline en Ceucle occitan dau pais d’Arle (consultable sur internet). Et, autre preuve, la présentation de Jule Canonge, auteur d’Arles-en-France, autrement dit en occitan : Juli Canounge (qu’a fa Arle-en-Franço).

Alors, le poème ?

Dans les deux cas, et malgré quelques divergences pour le premier, les graphies Aliscams et Arle approfondissent la pensée de Toulet, l’approche vers l’origine occitane. C’est pourquoi la correction s’impose, dans le corps du poème, pour respecter l’esprit du poète.

Ailleurs, nous reprendrons les formes françaises. Une explication précise est toujours préférable.

Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd ;

Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes.

LA GARDIENNE DES ALISCAMPS    LA GARDIANO DIS ALISCAMP

1 : Paris, Leipzig, 1898, H. Welter éditeur.

2 : Avignon, Roumanille, Libraire-éditeur, 1868

 

Cet article est dans la catégorie 2 La littérature s'interroge, Lettropolis transmet. Disponible sous permalien.

3 Responses to DANS ARLES… LES ALYSCAMPS

  1. Pingback: En Arles – Atlantis

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.