LE SILENCE DES ENFANTS DU SILENCE

FRANÇOISE GILLARD DANS LES ENFANTS DU SILENCE

FRANÇOISE GILLARD DANS LES ENFANTS DU SILENCE

 

ENFIN ? VIVRE PAR LE SILENCE

Revenons à Sarah, à son programme enfin révélé dans Les Enfants du silence.

N’oublions pas : Elle clame (signe) « haut et fort » la recherche de son moi profond, de sa singularité par l’adéquation totale de son être avec les contraintes et les ouvertures de la langue des signes, par ce qu’elle mobilise de ressources insoupçonnées de la relation corps-esprit.

Il s’agit simplement de programmation neuro-linguistique nous répondra-t-on avec juste raison. Le langage des signes en est une variante développée pour des raisons évidentes de pratique. D’ailleurs, de façon plus générale, le langage du corps existe dans toutes les sociétés, adapté à tous les usages, et parfaitement compréhensible à tout goupe l’acceptant, sinon à tous. Tant de codes sociaux l’utilisent comme Monsieur Jourdain faisait de la prose.

HURLER LE SILENCE

Sauf que, Sarah a porté le discours plus haut et plus riche. Elle veut transcender la technique. Ici, la passion est à l’œuvre, mobilisée par son histoire, et aussi par des moteurs inconnus.

Ainsi lui serait offerte la découverte d’un état fusionnel intime inaccessible à elle-même, si elle n’était atteinte de surdité. Elle atteindrait un niveau inaccessible aux « entendants ». Poursuit-elle la quête d’un corps terrestre si éthéré qu’il en deviendrait presque astral ? Peut-être pas, mais, à leur façon, les derviches tourneurs et Sarah empruntent des chemins semblables. Sauf que, pour ces derniers, la transe prend fin avec l’épuisement, ce qui entraîne leur retour au monde. Mais pour une Sarah vouée à la surdité définitive, les ponts sont coupés. Et, portée par une force si prégnante, Sarah est-elle encore de notre monde ?

Imaginons qu’elle atteigne son but, qu’elle mobilise sa volonté de puissance jusqu’à intégrer cet état nietzschéen de « sursourde ». Que deviendrait-elle dans une société incapable de la suivre, de la comprendre, et donc parfaitement capable de lui offrir la chute tarpéienne après quelque triomphe momentané ?

À sa façon, Sarah rejoint la cohorte des amputés divers, volontaires ou non, qui explorent des voies de substitution pour se mettre en lumière dans le sens de la vie. En fait, menée par sa passion exigeante, Sarah veut dépasser le seul aspect pratique de cette langue des signes. Veut-elle communiquer avec d’autres sourds ? Rien n’est moins sûr. Elle veut se communiquer son moi caché. Nous pouvons poser qu’elle emprunte, à corps perdu, le chemin de l’asocialité. La brisure de son mariage en est la preuve, et son acceptation apparente du conflit mené par Denis n’est en rien la preuve du contraire, sinon un déclic.

UN SILENCE POUR CHACUN, OU UN SILENCE POUR TOUS ?

Sarah est-elle unique ? Absolument pas. Seule son intransigeance enfin révélée la fait appartenir à un petit groupe. Des illuminés ? Oui, mais dans quelle acception prendre ce terme ?

Sarah triche-t-elle ? Oui, serait ma réponse, tout en la précisant : qui sait jamais s’il triche ? Qui connaît les moteurs profonds qui grondent en lui et qui l’entraînent sur des chemins de quête extrême dont la réalisation peut conduire à une apparente perdition ?

Mais d’un autre côté, plus physiologique, Sarah est incomplètement sourde. Elle perçoit les vibrations de la musique sur laquelle elle danse (virevolte, serait plus juste). Le monde sonore ne lui est pas complétement étranger, à condition qu’il soit suffisamment riche en décibels et en fréquences graves (pour la perception osseuse). Donc, elle pourrait aussi s’exprimer par une chorégraphie adaptée, par des postures de mime, plus facilement accessibles aux « entendants » non familiers de la langue des signes, et tous aussi cohérents avec une recherche personnelle des profondeurs. Comme ce n’est pas le thème de son discours revendicateur, nous sommes obligés de comprendre qu’elle nous met tous en situation de blocage, avec les risques qui en découlent.

Comment, en effet, faire partager une émotion, une crainte devant un danger imminent, un conseil pratique, une consigne de sauvegarde à un groupe « d’entendants » par le langage des signes, si évolué soit-il ? Il n’y a pas de solution accessible, sinon par des gestes standardisés aussi simples que possible. Ou alors, faudrait-il que chaque citoyen accepte ce second langage, qui, si riche soit-il, ne résiste pas à quelques minutes d’obscurité.

En fait, malgré tous ses efforts d’enrichissement personnel, ou plutôt, à cause de ses mêmes efforts, Sarah se coupe inéluctablement du monde, y compris de celui de Denis et de ses revendications qui ne sont que techniques et exacerbées par un prurit sociétal à la mode.

NOS CHOIX DE SILENCE

Nous en revenons à l’une des grandes leçons de la vie : tout choix est un renoncement ou une mort partielle. Chacun de nos pas modifie notre chemin, sans que nous ne sachions jamais s’il fut mauvais ou non. Et plus fondamental est le domaine sur lequel porte ce choix, plus les conséquences nous atteindront. Reste à agir au mieux possible, sans jamais nous perdre dans les certitudes.

Sarah est exaltée. Est-elle « une exaltée », ce qui en modifie le sens profond ? Nous ne le saurons jamais. Est-elle illuminée par quelque source de lumière transcendante, ou n’est-elle « qu’une illuminée » ? Ici non plus, pas de réponse possible. Seul l’avenir le dira.

Mais dans ce rôle, Françoise Gillard est radieuse, et cela se voit.

Cet article est dans la catégorie 2 La littérature s'interroge, Lettropolis transmet. Disponible sous permalien.

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