PLAISIRS DE L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF

 

 

LES PLAISIRS ATTENDUS DE L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF

Il existe un plaisir certain à enfourcher le subjonctif imparfait comme un brave cheval de bataille, au coin de quelque champ linguistique. Peut-être aussi un brin de condescendance amusée, quand ce n’est pas un sourire tiré de ses sonorités que certains amuseurs (Alphonse Allais par exemple) se plaisent à reprendre à leur compte.

Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez.
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse
Et que je vous idolâtrasse,
Pour que vous m’assassinassiez !

Cela dit, faudrait-il amputer notre grammaire française de tout un pan de sa richesse ? Lui supprimer son imparfait du subjonctif ? Et bientôt, son subjonctif, tout entier ? Après, il ne restera plus qu’à se débarrasser des vieux parleurs, pousser grand-mère, grand-père dans les orties… sans oublier la tante Armide.

Connaissez-vous la tante Armide ? Non ! C’est dommage. Mais personne ne vous en veut. Je laisse au docteur Destouches, le soin de vous la présenter.

LES PLAISIRS INATTENDUS DE L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF

Le siècle dernier, je peux vous en parler, je l’ai vu finir… Il est parti sur la route, après Orly… Choisy-le-Roi… C’était du côté d’Armide où elle demeurait aux Rungis, la tante, l’aïeule de la famille. (…)

On avait si hâte d’arriver que je faisais dans ma culotte…:
d’ailleurs j’ai eu de la merde au cul jusqu’au régiment, tellement j’ai été pressé tout le long de ma jeunesse. On parvenait tout trempés aux premières maisons. C’était un village amusant, je m’en rends bien compte aujourd’hui ; avec des petits coins tranquilles, des ruelles, de la mousse, des détours, tout le fromage du pittoresque. C’était fini la rigolade en arrivant devant sa grille. Ça grinçait. La tante elle avait soldé la « toilette » au Carreau du Temple pendant près de cinquante ans… Son pavillon aux Rungis c’était toutes ses économies.

Elle demeurait au fond d’une pièce, devant la cheminée, elle restait dans son fauteuil. Elle attendait qu’on vienne la voir. Elle fermait aussi ses persiennes à cause de sa vue. Son pavillon tenait du genre suisse, c’était le rêve à l’époque. Devant, des poissons mijotaient dans un bassin puant. On marchait encore un petit bout, on arrivait à son perron. On s’enfonçait dans les ombres. On touchait quelque chose de moi. « Approche, n’aie pas peur mon petit Ferdinand ! … » Elle m’invitait aux caresses. J’y coupais donc pas. C’était froid et rêche et puis tiède, au coin de la bouche, avec un goût effroyable. On allumait une bougie. Les parents formaient leur cercle de papoteurs. De me voir embrasser l’aïeule ça les excitait. J’étais pourtant bien écœuré par ce seul baiser… Et puis d’avoir marché trop vite. Mais quand elle se mettait à causer ils étaient tous forcés de se taire. Ils ne savaient pas quoi lui répondre. Elle ne conversait la tante qu’à l’imparfait du subjonctif. C’étaient des modes périmées. Ça coupait la chique à tout le monde. Il était temps qu’elle décampe.
Dans la cheminée derrière elle, jamais on avait fait de feu ! « Il aurait fallu que j’eusse un peu plus de tirage… » En réalité c’était raison d’économie.
Avant qu’on se quitte Armide offrait des gâteaux. Des biscuits bien secs, d’un réceptacle bien couvert, qu’on ouvrait que deux fois par an. Tout le monde les refusait bien sûr… Ils étaient plus des enfants… C’était pour moi les petits-beurres !… Dans l’émoi de me les taper, de plaisir, fallait que je sautille… Ma mère me pinçait pour ça… J’échappais vite au jardin, espiègle toujours, recracher tout dans les poissons…
Dans le noir, derrière la tante, derrière son fauteuil, y avait tout ce qui est fini, y avait mon grand-père Léopold qui n’est jamais revenu des Indes, y avait la Vierge Marie, y avait Monsieur de Bergerac, Félix Faure et Lustucru et l’imparfait du subjonctif. Voilà.

ALORS ? L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF ?

Il vous coupe la chique, à vous aussi ? En tout cas, merci au docteur Destouches, notre fantastique Céline, de l’avoir enchâssé dans cette visite aux confins de Mort à Crédit.

Cet article est dans la catégorie 2 La littérature s'interroge, Lettropolis transmet. Disponible sous permalien.

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