Je lis du Kiona. Ma foi, elle est là. La beauté l’amour la douleur le cœur. Une lourde histoire de peines et de corps. Papillons. Je suis moi-même pris dans le tourbillon de la beauté.
Un cri poétique envoûtant. Une simple poésie, parfois originale et pleine d’humour (je pense à Jules Laforgue). D’autres fois en douleur et amour.
Comment est-il possible de donner de la douleur aux mots ? Par les maux ! C’est du Kiona.
Un style très novateur. Les signes du son font sens, glissent, nous arrachent, tout en douceur.
Et puis : le rêve ; le vol (des papillons) ; les nuages ; le dessin.
Et puis la tendresse. Le corps évoqué sans pudeur. Mais tellement de pudeur, par ailleurs, dans ce délicat partage douloureux, puis nostalgique.
Un verbe maîtrisé jusqu’à l’égal d’Apollinaire. C’est-à-dire oh combien ! moderne. (Quoique Apollinaire, hein, ça fait déjà quelque temps, mais a-t-on fait mieux ? )
Et cette touche unique de Kiona, pour laquelle, je le redis, les termes au sens fort font double sens, et n’hésitent pas :
Ainsi le « cycle du tant » ; ainsi « au tant de l’amer » :
Ma vie sans toi n’est plus
Que nuits et jours qui passent
J’ai bu l’eau de l’amer
Pour que ma peine se casse
(« Je vis dans une prison »)
Mais aussi :
Petite fille a pardonné
Mais l’intérieur est cabossé
Petite fille porte un fard d’eau
Peut-être de là viennent ses maux
(« Petite fille née d’un duel »)
Ce bel ouvrage de poésie retrace d’un souffle presque toute une vie, jusqu’au présent de l’auteure. La composition est superbe : les souffrances initiales, les expériences, douloureuses chahutées sensuelles, puis une nouvelle espérance. On est, comme au travers un roman, emporté dans un mouvement – en vers !
Le phrasé est limpide poétique, il y a peu d’hermétisme, ce qui est qualité.
On devine de très fortes épreuves, d’où l’écrivaine renaît, grâce à la distance de sa composition, toute frémissante.
Pour conclure, je choisis de vous citer ce poème, un des aspects de l’art de Kiona :
Il n’y a plus d’éclaboussures
Sur mes « je t’aime »
Sur mes chemins
Le temps a guéri mes blessures
Mon bel Amour
Mon doux chagrin
Même si j’en perds mon écriture
Sur ce beau thème
Sur mes dessins
J’ai jeté mes larmes aux ordures
Mon troubadour
Mon doux refrain
J’ai colmaté la grosse fissure
Sur ma peau-aime
Sur cette faim
Il ne me reste qu’une gerçure
Aux alentours
De mes demains
(« Il ne me reste qu’une gerçure »)
On remarquera ici (ce qui est le cas, le plus souvent) une ponctuation absente – et c’est très beau.
La mise en forme met soigneusement en valeur l’invention du poème (double page avec une composition de la ligne décroissante, centrages quand il y a lieu, autres compositions soignées… )
Lisez du Kiona, sous Lettropolis. C’est beau. C’est simple. C’est fort. C’est émouvant.