COMMENTAIRE POUR GENÈSE MMXII

Couverture

1/ Ce petit ouvrage intitulé Genèse MMXII (2012) m’a bien plu. Pourtant je ne l’ai pas tout de suite compris ; et même à présent, je serais prêt à le relire une troisième ou une quatrième fois, tant il possède de densité cachée, et de charme.J’avais abordé ce récit aussi légèrement qu’il paraît léger, une sorte de fantaisie ; cependant, je fus progressivement emporté dans un mouvement dialectique, jusqu’au bout maîtrisé, et bien à la hauteur de son ambitieux titre (Genèse).
Ni plus ni moins, on assiste à la recréation de l’homme (et de la femme). Ponctuée par les versets du texte biblique. Il fallait oser ! Pari tenu.

2/ Pour être plus précis (et logique, comme la démarche de l’auteur, constamment lucide, le propose), voici la première impression générale que j’eus :

On est bien, au début du texte, dans une situation absurde – ou apparemment contradictoire – du fait même du thème : un homme, ou une conscience d’homme, apparaîtrait au même temps, semble-t-il, que le premier jour de la Création. Logiquement, cette conscience ne pourrait donc être que Dieu – ou le Verbe de Dieu. Cette entrée en matière nous plonge dans un épais mystère… Or on s’aperçoit pourtant que le locuteur est un simple Homme, une conscience d’homme très concrète, qui ignore qui il a été. Quoiqu’il sache qu’il a existé, il en a perdu la trace. Ce thème de la réminiscence d’un passé catastrophique – en plusieurs endroits il est suggéré comme tel – court à travers le récit ; et permet plusieurs constructions :

a) La mémoire perdue – et qu’il ne s’agit pas de retrouver – suggère un retour à l’innocence, malgré

• L’évocation du Mal du monde des hommes ;

• L’évocation du Mal de la Mort ;

b) Descriptions poétiques diverses, en rapport avec la beauté de la création qui se met en place ;

c) L’apparition, au terme de ce retour progressif à la vie, de la femme. Compagne et présence, de tout temps promise. Est-il même besoin de mots ? La vie suffit.

d) Enfin, – et qui sous-tend tout cela : je trouve le thème de la… rédemption, par la nouvelle vie ; la renaissance.

3/ Ou encore – loin de pouvoir résumer cet ensemble éblouissant –, je donnerai ci-dessous quelques pistes pour en apprécier son dynamisme. Comme je l’ai dit, ma première impression fut celle d’une brillante fantaisie, pleine de poésie.Mais, à partir du quatrième jour (je me laissai abuser jusque là), le vent commence à tourner. Quelle est cette ombre qui danse, de quoi l’auteur veut-il nous parler ? Je n’en dirai mot, tout encore sous l’influence de ce jour où l’on se promène dans des champs d’harmonie et de poésie et de fantaisie.

Car à partir de ce moment, je comprends que la redécouverte de la découverte de l’homme par l’homme, n’est pas à son avantage ! Émergence des vies, voies divergentes, « morpho-anthropisme » ; l’horrible monde nouveau, si… Ainsi le cinquième jour comporte-t-il quelque chose de capital sur la méditation du monde.

Au sixième jour éclate, entre autre, le dur thème de la mort.

Le septième jour déploie heureusement la reconquête de réalités substantiellement plus essentielles : la beauté l’amour la compagne ! la présence ; échapper à la solitude mortifère.

4/ Plusieurs clés sont cependant possibles pour entrer dans ce bel ouvrage. À mes risques et périls, j’en propose deux autres :

a) L’ombre et le temps

• La première ombre (cf. chapitre 4, page 64, son manque, alors qu’il y a le soleil) est signe du « temps » ;; un temps pas encore vraiment apparu ; le temps immédiat dans sa causalité fuyante.
(Le « Temps » est aussi un des thèmes de l’œuvre.) Mais je n’en analyse pas plus avant son élaboration.

• La deuxième ombre (cf. page 113, en bas) est celle de la proche-aimée, la présence « autre », la femme ;

• Tandis que, en effet, dans la dernière ligne du texte (page 134), on a cette belle phrase : « Pour unique réponse, elle l’embrasse, et… se donne au temps ». J’analyse cela comme le troisième effet de l’ombre-temps.

La mort est donc alors quasi vaincue : avec la conscience devenue « vie », – malgré l’horreur de la conscience faite homme, si…

b) La création : de l’informe à la femme

Et voici une autre analyse (qui complète celle-ci). Une analyse plus subtile encore (comme est subtil et plein d’enivrantes structures ce texte) :

  • Le premier élément, c’est : le noir, la forme ;
  • Vient ensuite : la lumière, les couleurs, (la chaleur) ;
  • Puis : le temps (jeu de l’ombre et du temps, course à l’Image (de soi ou / et de son ombre) ;
  • Remarquer alors que la présence de l’ombre, rassurante en un sens, ne l’est pas en un autre (je n’ai pas la place de préciser) ;
  • En dernière étape, avec la conquête de la femme, c’est… « l’ombre redonnée au temps ».

5/ Pour conclure, quelques remarques sur le style :

Je le trouve beau, original et poétique. Violent, parfois. Mais, à mes yeux, son originalité principale réside dans ce mélange entre une élocution abstraite et logique, et la transparence de la poésie. Cela donne en fait un cocktail infini. (Puisque la poésie ne s’éteindra qu’avec le son et les images, c’est-à-dire ne s’éteindra pas ; et puisque d’autre part la logique, l’abstraction des termes, forment une charpente extrêmement solide, telle que la pureté d’élocution relance sans fatigue la machine, qui « n’a rien à perdre de dire ».)

Je l’illustrerai par ces quelques exemples, que vous goûterez, j’espère, avec le même plaisir que j’ai eu :

Deuxième jour (page 39)

Cette masse offerte aux vents, à l’orage, souffrant par toutes ses coutures, avait été prise dans la grande enclume grise et tournoyante. et les coups avaient succédé aux coups, d’une forge à l’autre, en une industrie zébrée d’éclairs sur fond de vieux charbons empilés, de forces d’acier, de travaux acharnés.

Deuxième jour (page 46)

Il ne sut jamais dire ce qui le retint. peut-être la récitation d’une lointaine poésie par laquelle il eût pu s’identifier à un autre déchu. Peut-être la pitoyable émergence du pantin sous le matamore. Quelle qu’en fût la raison, quelque défaillante que fût sa mémoire, il savait n’avoir jamais porté les feux nécessaires à ces deux références : ni foyers en forges de l’esprit ni flambeaux en fanfare.

Quatrième jour (page 66)

Et un regain d’énergie et de joie le prit. Il n’avait pu mener à bien son expérience avec son ombre… il la pousserait d’autre façon. S’il était impossible de déterminer un retard, peut-être pouvait-elle le précéder ? Lui montrer le chemin ? De peu, de presque rien, juste pour le guider à sa façon. Tu peux le faire, puisque je le fais. Telle était peut-être sa mission : lui offrir cette minuscule parcelle de temps par laquelle la vie se prouve à elle-même qu’elle mène le bal.

Cinquième jour (page 94) – Exemple de violence

Ils n’étaient rien de cela puisqu’ils fricotaient dans la grande famille toujours résurgente des dé-peceurs, des tanneurs de peau, des pilleurs d’âmes, violeurs de sens, étripeurs de femmes enceintes, égorgeurs sadiques, châtreurs et cannibales, essuyant le sang de leurs victimes sur le torchon de leurs raisons, grands architectes spécialisés en barbelés, en glacis, en tours, en prisons d’infamie, en stalags, en oflags, en goulags, en…

Septième jour (page 125)

Il faut imaginer que leur rencontre n’avait rien de fortuit, que le mot hasard n’existait pas, ou qu’il suivait d’autres plans. Il faut imaginer qu’ils l’imaginèrent ainsi, car jamais les éléments constitutifs n’en devaient être dévoilés. Participaient-ils d’une coïncidence de forces inconnues, de l’alchimie d’une magistrale cornue, d’une savante mise en ordre du monde, du tic-tac d’une hallucinante horloge, d’une nécessité transcendante, d’une volonté infinie, éternelle, inaccessible, omniprésente, omnisciente, omnipotente ? Ils imaginèrent…

Septième jour (page 127)

Or, l’ordre ne pouvait provenir que du chaos revisité, mesuré, classé, travaillé, étant bien entendu que toute remise en ordre d’un arpent reproduisait sa propre part de chaos, qu’il en serait toujours ainsi, et qu’une pensée devait y être dédiée, au risque du plus grand péché du monde, celui de s’en vouloir faire le maître, et, confronté à l’échec, d’en programmer l’anéantissement.

Et, pour finir, cette toute simple poésie, qu’on respire comme un parfum :

Septième jour (page 131)

Il lui arrivait souvent de sourire à un chant d’oiseau, à une simple fleur, et, se penchant pour la cueillir, d’achever son geste en une caresse.

6/ Voilà ! Amis de Lettropolis, vous apprécierez, j’en suis convaincu, l’œuvre qui m’a captivé et me captive encore…

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