FORCE ET MUSIQUE DES TEMPS QUI CHANGENT

 

Volubilis des temps qui changent

Volubilis des temps qui changent

 Le titre de cet article peut paraître mystérieux. Promet-il des approches en fanfare ? Des remarques sibyllines sur les temps politiques agités ? Sur les ondées ou les tonnerres de la météo ? Fera-t-il frémir les partisans de l’autre ou les thuriféraires de l’un ?

Rien de tout cela. Je veux ici offrir un modèle à quelques auteurs qui se lancent parfois dans une marche errante entre les temps et modes de nos verbes, pour – mi-sorciers, mi-horlogers – parcourir les montagnes russes des temps du récit.

Attention ! Le flash-back (le français retour instantané serait d’autant meilleur qu’il évoquerait un temps né et rené d’un instant) est une technique à maîtriser sous peine de n’être qu’une sale manie (comme aurait dit Brassens). Quant au fondu enchaîné, si facile à mettre en œuvre dans tout caméscope tant soit peu perfectionné, ne le confondons pas avec une écriture maîtrisée.

Certes, tout cela est bien beau, mais comment faire ?

L’éditeur qui lit beaucoup, autant par plaisir que par obligation, qui ose prétendre à quelque habileté en la dévorante habitude scripturale, peut se permettre, à l’occasion de proposer des exemples.

En voici un, extrait de Mémoires d’avenir de Michel Jobert. C’est un « petit » chef d’œuvre. Le passé et le présent – son passé et son présent – nous prennent et nous entraînent dès le début par une phrase qui semble annoncer une belle matinée. Qui semble… Car tout l’art est dans cette glissade contrôlée. Alors nous pouvons vivre le drame. C’est bien d’un drame qu’il s’agit. Vivre, revivre, découvrir, redécouvrir, entre passé et présent annoncés par un conditionnel qui s’efface devant la puissance réitérée et si présente de la nature, amplifiés par un futur quasi apocalyptique (Demain, au lever du soleil…) malgré lequel le présent ne peut qu’être (C’est bien la plaie…) et retravaillés avec les nuances finales de l’imparfait et du passé composé et du passé simple.

Mais il est « temps » de laisser la place à Michel Jobert, homme mûr retrouvant son enfance marocaine.

 

« Quand au printemps les blés sont verts, les arbres fruitiers en fleurs, l’air léger, le soleil vif, si j’étais encore là-bas, je regarderais vers le Sud, là où, vers Meknès, la ligne des montagnes se brise et où la route franchit un col. Je verrais dans le ciel clair naître des traînées grises et rouges, s’étendant à l’infini, comme une brume. Les chiens cessent d’aboyer et déjà dans le lointain on entend les paysans qui tapent sur des bidons. L’ombre passe devant le soleil. Un bruit immense, comme celui d’une eau imbibant le sol, s’empare du temps, de l’espace. Les vols tournoient en se laissant porter par le vent. Puis ils s’abattent. Toute la campagne s’emplit maintenant d’un grésillement multiple : les sauterelles sont partout. En quelques heures, les arbres sont devenus gris et rouges, les blés disparaissent. Ici et là, des feux naissent, aux fumées épaisses, pour protéger quelques carrés de légumes. Demain, au lever du soleil, la migration reprendra son vol vers le nord. D’autres lui succéderont, laissant la terre plus nue encore. C’est bien la plaie d’Égypte. C’est la misère. Dans les souks, on vend les sauterelles rôties ou en brochettes. Bientôt, du sol, surgira le cheminement innombrable des criquets qui viennent d’éclore et qui campent dans la campagne épuisée, en attendant que leurs ailes poussent. Alors ils mangent l’écorce des arbres. Les routes guident leurs errances voraces. Ils avancent partout, attendant le temps de l’envol.

Ils sont en grappe sur les pierres de Volubilis, la ville romaine, à un petit kilomètre de chez nous, installée sur un promontoire d’argile au-dessus de la vallée. Combien d’invasions de sauterelles, combien de tremblements de terre a-t-elle subis, avant l’ensevelissement ? L’arc de triomphe de Caracalla, les vestiges de la Basilique, les Thermes et les maisons patriciennes, le Decumanus, ne parlaient pas à mon esprit. J’étais trop à l’écoute de la vie pour que ces pierres solennelles aient pu m’émouvoir. Quand un grand frisson parcourait la terre et secouait les portes de la maison, alors je pensais, par rapport à ma propre vie, au tremblement de terre qui ensevelit Volubilis. »

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