UNE PAIRE DE COQUILLES

Les deux coquilles de Kahnweiler

Les deux coquilles de Kahnweiler

 

 Des coquilles ? Mais encore ?

Les coquilles, ces erreurs de typographie ou d’orthographe, ne se trouvent pas seulement sur Internet. Les éditeurs, tous les éditeurs, même les plus grands, sur les meilleurs papiers, en laissent passer. Kahnweiler, qui fut marchand d’art mais publia aussi en ce domaine, en admettait deux par œuvre.
D’où sa marque : une gravure sur bois de deux coquilles, exécutée par Derain pour L’Enchanteur pourrissant publié en 1907.

Donc, tout le monde en laisse passer par les trop grandes mailles de son filet. N’y jetons pas de pierre, au risque de le déchirer et d’aggraver le cas. Comme notre propos n’est pas de tirer sur les pianistes maladroits, mais d’améliorer le jeu des amateurs, utilisons les exemples à ne pas suivre, et les leçons à retenir [1].
Que dites-vous de cette tirade, où il est question de Saint-Germain-des-Prés ?

« M. le Curé avait démoli l’autel de son église et il célébrait la messe sur une table de cuisine proprement recouverte d’une nappe blanche. A défaut des sept anges qui sonneront de la trompette quand l’Agneau de l’Apocalypse aura rompu les sept sceaux, il disposait de haut-parleurs tonitruants, accrochés aux piliers de la nef. Une petite secte nommée intégriste regrettait la messe d’autrefois, l’autel, le latin et la liturgie séculaire. Elle avait peu d’audience et on la tenait pour arriérée. Eut-il été tolérable, en effet, à l’âge de la bombe atomique et de la décolonisation qu’un prêtre dît la messe à l’autel, tourné vers la terre sainte ? »

 Alors, votre avis ? Coquilles ou pas ? Et si oui, combien ?

J’en vois quatre, dont trois de typographie, mais n’insisterai que sur une, celle qui fait offense au subjonctif. Il fallait écrire : « Eût-il été préférable… »

En effet, le questionnement ci-dessus posé, « énoncé de ce qu’on se refuse ou hésite à placer sur le plan de la réalité [2] » a pour forme adéquate le mode subjonctif, ici son plus-que-parfait. Et bien sûr, la concordance des temps et des modes oblige au « dît la messe » (subjonctif imparfait).

Tout cela est fort clair… à condition de le répéter à chaque génération, et plutôt sept fois qu’une. Et comme notre grand éditeur tient vraiment à ce que nous récitions notre leçon, il nous oblige à la page 17 :

« L’Ingénu disait que la belle Abacaba, qui avait été mangée par un ours, eut été un laideron à Saint-Germain-des-Prés. »

Munis du premier exemple, nous n’hésiterons pas, mutatis mutandis, à réutiliser le subjonctif que je vous laisse trouver.

Quant au texte, pétillant d’ironie sagace, nous le reprendrons dans un article complémentaire, et lui tirerons notre petit chapeau… circonflexe.

 

[1] Gaxotte, Pierre. 1972. Le Nouvel Ingénu. Paris : Arthème Fayard, p. 4.

[2]  « Sans s’engager cependant sur la réalité du fait visé. » Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, Joseph Hanse.

Cet article est dans la catégorie 2 La littérature s'interroge, Demain sans faute, Lettropolis transmet. Disponible sous permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.