À quoi a tenu que Augustin ou la Maître est là de Joseph Malègue soit enfin sorti du purgatoire ? À la parole d’un pape ! Après tout, quoi d’étonnant ? Il paraît dans l’ordre des choses qu’un pape ait le pouvoir de nous faire sortir du purgatoire, même s’il ne s’agit pas du vrai purgatoire, mais du purgatoire littéraire, ni de l’âme de Joseph Malègue (espérons-la en contemplation éternelle), mais de son humaine renommée…
Quelques jours après son élection, donc, François Ier parle d’Augustin ou la Maître est là, dit qu’il a aimé ce roman français, d’un auteur confidentiel, et quelques semaines plus tard, phénomène saisissant – quoique prévisible – voilà le roman de Joseph Malègue propulsé dans une collection flambant-neuf, sur les rayons de toutes les librairies, avec une fulgurance qui n’a d’équivalent que celle du haricot magique et le voilà qui dépasse la stratosphère catholique et perce les empyrées littéraires les plus inespérés, les plus électifs, les plus inaccessibles !
De telle sorte que la presse a abondamment parlé de Joseph Malègue, nous n’y reviendrons pas, d’autant plus qu’elle a le plus souvent parlé de lui pour ne rien nous en apprendre de très substantiel… Joseph Malègue est né en 1876 ! Il mourra en 1940 ! Il a publié Augustin ou la Maître est là en 1933, chez Spes, une très, très modeste maison d’édition… Quand Gallimard s’intéresse au livre, car Gaston l’avait repéré, c’est trop tard… Les éditions Gallimard eussent-elles évité à cet admirable aérolithe de sombrer dans la mer des oubliés ? Rien n’est moins sûr !
Plusieurs questions se posent à moi : comment le roman de Joseph Malègue est-il parvenu entre les mains de François Ier ? En quelle langue l’a-t-il lu ? Pourquoi ce livre l’a-t-il si profondément marqué ? Joseph Malègue n’est pas un écrivain facile, même pour un Français ! Joseph Malègue requiert la concentration, le calme et l’effort. Il n’est pas plus aisé à lire que Marcel Proust.
J’ai lu, il y a au moins quinze ans Augustin ou la Maître est là. Jamais je n’ai pu rencontrer un autre lecteur. S’agit-il d’un roman catholique ? Peu m’importe !
Voici ce dont je me souviens (ne l’ayant pas relu, n’ayant personne avec qui en parler). Ce roman comprend trois volets : le premier est consacré à l’amour du père; le second à l’amour de la mère; le troisième à la mort de l’enfant… Augustin ne cesse de faire l’expérience de la perte. C’est un livre de douleurs (et je peux me tromper) : c’est un livre des séparations. Pour le héros, vivre, c’est continuellement … « perdre »… Augustin perd tout, la foi, son père, sa mère, son neveu, sa fiancée, sa santé et, bien sûr, il perd sa vie. Vivre, c’est mourir, et d’abord à soi-même; c’est se séparer; de toutes les manières, c’est rompre ou, si j’ose dire, “être rompu”. Et il n’y a pas de limite à cette cruauté.
Cependant, Dieu est là.
Aux derniers instants, sur le point de passer de cette vie à l’autre, Augustin, le philosophe torturé, capitule, rend les armes, accepte de tout perdre pour – peut-être – tout sauver.
J’ai longtemps guetté des lecteurs d’Augustin ou la Maître est là, en vain, jusqu’à l’élection du pape.
Y en a-t-il un parmi vous qui voudrait lire le roman de Malègue ? Je n’aurai guère l’occasion d’échanger avec notre saint père en ce monde… Et dans l’autre, peut-être parlerons-nous d’autre chose ?
Si vous lisez Augustin ou la Maître est là, je vous promets que vous n’aurez pas fait en vain cet effort…
Le Martyre dévoilé de la bienheureuse Jeanne Billace
par Christophe Biotteau
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