LES ENFANTS DU SILENCE AU THÉÂTRE ANTOINE

Les Enfants du silence

Les Enfants du silence

ENFANTS DU SILENCE

Une pièce se joue au théâtre Antoine : Les Enfants du silence. Le texte a été écrit par Mark Medoff, a reçu un grand succès théâtral à Broadway en 1980. Ont suivi un film en 1986, puis des représentations, en particulier celles par lesquelles, en 1993 la comédienne sourde de naissance Emmanuelle Laborit a reçu le Molière de la révélation théâtrale, pour le rôle de Sarah.

La voici maintenant au théâtre Antoine, à Paris.

AU THÉÂTRE ANTOINE

S’il faut en croire la présentation simplifiée du dossier de presse (dont sont extraits les renseignements préalables) « Les Enfants du silence de Mark Medoff est un véritable plaidoyer en faveur du droit à la différence et de la langue des signes […] » et Sarah « refuse le principe d’une langue normative à laquelle les sourds devraient se soumettre. »

C’est ici que la présentation obligée par le « quelque chose-ment correct » nous amputerait de toute la profondeur du thème, si nous ne lisions l’approche et les explications très enrichissantes d’Anne-Marie Étienne, metteur en scène, facilement trouvables sur le site.

Mais pourquoi se refuser le droit d’ajouter un commentaire après avoir savouré la pièce ?

LE THÈME DES ENFANTS DU SILENCE

Le thème en est aussi simple qu’inattendu. Dans un centre de réadaptation pour personnes sourdes, un orthophoniste – Jack Leeds — se dévoue à leur  apprendre la langue des signes, et/ou, selon leur degré de surdité, les mener à un meilleur contrôle de leur voix.

Mais une jeune femme – Sarah – ancienne élève devenue femme de ménage, s’oppose à cette scolarisation, surtout à l’apprentissage de la lecture labiale, et par conséquent au nouvel intervenant, avant de l’aimer, et de se marier avec lui.

Si le texte original s’arrêtait sur cette « happy end », il perdrait de son sel. En quelque sorte, Pygmalion et Galatée, (Le Pr Higgins et Eliza Doolittle, si vous préférez Shaw) se marieraient, vivraient longtemps, et auraient beaucoup d’enfants.

Heureusement, Medoff laisse exploser la vigueur des consciences, des ressentiments, des manques et des pressions tout aussi fortes et manipulatrices d’une côté que de l’autre, et même, n’oublions pas, d’un troisième : celui de ceux qui ont gagné en compréhension par lecture sur les lèvres, et en expression par contrôle plus ou moins réussi de leurs voix.

Car le monde n’est ni blanc ni noir, il renferme aussi du gris, couleur de passage, qui peut devenir couleur de blocage. Plus simplement dit, c’est par ceux qui ont un pied dans chaque camp, et donc en attente sinon en impossibilité d’allégeance, que les conflits arrivent.

Cette situation est-elle irrémédiable ? Nous ne saurions l’affirmer. Mais le nier ajouterait une autre contribution néfaste au « ixement correct ».

En tout cas, c’est ce qui se passe dans le texte, avec la mise en place de détonateur porté par Denis, et le bris du mariage de Jack et de Sarah qui en résultera.

Oui, mais, là encore, tout serait trop simple si nous nous en tenions là. Denis, détonateur, peut-être. Détonateur agressif, sûrement. Mais un détonateur qui ne trouve pas son explosif adéquat ressemble fort à un pétard mouillé. Et ces deux-là, Jack et Sarah, ne sont pas du genre à faire l’impasse sur leurs ancrages profonds. Explosive, la situation le sera, malgré les sentiments et les grandes déclarations, car chacun veut réaliser ce qu’il se sent être en propre. Disons même qu’un devoir d’expression et de réalisation les emporte. Ah ! Chimène. Ah ! Rodrigue ! Même sans don Diègue…

Cela sent la pureté. Toute la pureté ? Encore une question à facettes multiples et à réponses divergentes.

Car nous apprenons aussi l’histoire de chaque personnage, qui, comme chacun de nous, ne sont pas de purs esprits, mais le résultat de tant de pressions, de fêlures, de contradictions. Et la première d’entre elles, celle qui prend le devant de la scène et emporte son personnage, est la cohérence douteuse de Sarah avec elle-même.

Elle se veut sourde, au point de refuser la lecture labiale. Mais elle a tout de même appris la langue de signes. Pourquoi ? Parce que l’homme est un animal social (ou politique) et que la surdité totale mène à la négation de cette part humaine par l’isolement extrême qu’elle engendre. Parce qu’il faut bien « communiquer » d’une façon quelconque, y compris avec ses démons, si nécessaire. Pardon grand saint Antoine ! Parce qu’il faut aussi savoir être sourd, en particulier, pour Sarah, aux paroles de sa mère qui l’a longtemps traitée en « demeurée ».

En fait, Sarah est peut-être le personnage le plus profond de la pièce, car, malgré son apparence et son discours (signé) déterminés qui semblent tendre vers sa liberté, elle ne peut s’empêcher d’utiliser un autre groupe social, tout autant que celui-ci l’utilise.

Arrêtons ici ce qui mériterait une distanciation complémentaire.

Revenons aux acteurs, tous excellents. Et en particuliers le couple Jack (Laurent Natrella) et Sarah (Françoise Gillard) tous deux de la Comédie-Française, qui ont appris la langue des signes pour jouer leur rôle.

Ce n’est déjà pas une mince affaire dans la vie courante. Mais plus encore pour des acteurs et surtout Sarah  muette (au sens langagier), mais pétillante, vive, timide, exubérante, pathétique, horripilante, adorable, profonde, souple de corps et d’esprit, brutale et fragile.

Bravo à tous !

QUI N’EST PAS ENFANT D’UN SILENCE ?

Et osons dire que, si vous ne nous avez pas laissés sans voix, vous donnez envie d’en connaître davantage sur la spécificité de la surdité. Non seulement au sens habituel du terme, mais aussi sur cette surdité cachée, cette fermeture préférentielle par laquelle chacun de nous filtre, consciemment ou non,  les voix qui lui conviennent.

 

Cet article est dans la catégorie 2 La littérature s'interroge, Lettropolis transmet. Disponible sous permalien.

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