
I/ ÉTYMOLOGIE ET USAGE DU MOT GÉNOCIDE
Quelque peu d’étymologie suffit pour approcher le sens de de ce mot. Mais cette approximation n’est pas satisfaisante si l’on souhaite étudier le concept.
L’onglet lexical du CNRTL [1] propose comme définition princeps : « Extermination systématique d’un groupe humain de même race, langue, nationalité ou religion par racisme ou par folie. ». Puis, par extension : « Destruction d’un peuple, d’une population entière » et « Mort violente et rapide d’un grand nombre de personnes. »
Remarquons déjà la forte relation entre la langue, marqueur du groupe victime, et la destruction du dit groupe. À ce stade de la définition, la langue apparaît comme caractéristique identitaire dont l’atteinte par l’agresseur peut être profonde, mais non première.
Par la suite, le mot génocide investit des domaines culturels, politiques, scientifiques. Il s’agit de savoir si cette inflation sémantique est dommageable, car réductionniste, ou enrichissante. Un exemple, qui concerne directement la relation génocide-langage, se trouve dans la même page du CNRTL : « Maurice Vincent avait critiqué sur les antennes de Sud-Radio un article du Journal espagnol Vanguardia accusant M. Georges Pompidou de « génocide culturel » contre la langue espagnole (L’Express,11 déc. 1972, p. 86, col. 2). ». La question se posant alors de qualifier la situation de « génocide culturel », Étiemble avait répondu : « Non : d’abord parce que (…) je tiens mordicus à la propriété du langage. Le génocide, c’est la destruction physique d’une population au nom d’un principe raciste (Interview d’Étiemble ds Le Nouvel Observateur,15 sept. 1975, p. 56, col. 1). »
D’un extrême à l’autre, l’idée a pu venir à certains intellectuels de réserver le terme de génocide à un unique groupe humain, qui s’emparerait alors du terme comme d’une propriété inaliénable, niant à un autre groupe victime de génocide, le droit à reconnaissance. Il est possible de reprendre le discours par lequel le philosophe Althusser défendait une telle affirmation et d’en démontrer l’illusoire prétention. Plus important est de discuter les raisons profondes d’une telle position, difficilement tenable en terme de compassion envers les autres. Comment ne pas évoquer une forme de négationnisme à un degré supérieur – ce qui se rapproche singulièrement d’une infraction punissable, au moins en France – ou un infantilisme, analogue aux discours de ces commères tachant de se démontrer l’une à l’autre combien leur propre maladie est bien plus grave et mérite plus d’attention. Il est une troisième raison, mais nous en reparlerons en conclusion de cet essai.
II/ LE PROFESSEUR LEMKIN INVENTE LE TERME GÉNOCIDE
Le terme génocide fut forgé en 1944 par Raphaël Lemkin. Il souhaitait établir le terme conceptuel permettant de définir « une ancienne pratique en son développement » [2] .
Dans notre pensée contemporaine modulée, dirigée par l’image, au point de transformer cette pensée en sentiments malléables et réducteurs, le mot génocide convie en nous les détestables images de cadavres superposés ou de prisonniers squelettiques. L’atrocité prend corps. Cela est difficile à supporter, cela est nécessaire, cela est insuffisant.
D’ailleurs, Raphaël Lemkin, conscient de cette réduction développe d’emblée ce problème dans le chapitre introductif de son ouvrage fondamental [3]. Sa définition est organisée en quatre temps.
D’abord, il énonce une tautologie : « D’une façon générale, génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation, sauf si accomplie par la tuerie immédiate de tous ses membres [4]. »
De là, il précise immédiatement le concept en silhouettant l’analyse, en le plaçant à la racine technique de l’action génocidaire : « [Génocide] est plutôt destiné à marquer l’importance d’un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction des fondements essentiels de la vie des groupes nationaux, dans le but d’annihiler ces dits groupes [5]. »
Il montre les attaques contre le groupe : « Les objectifs d’un tel plan seraient la désintégration des institutions sociales et politiques, de la culture, du langage, des sentiments nationaux, de la religion, de l’existence économique des groupes nationaux […] [6] »
Et descend enfin au niveau de la personne : « […] et la destruction de la sécurité de la personne, de sa liberté, de sa santé, de sa dignité, et même des vies des individus appartenant à de tels groupes. Le génocide est dirigé contre le groupe national en tant qu’entité, et les actions impliquées, sont dirigées contre les individus, non en tant que tels, mais en tant que membres du groupe national [7]. »
III/ ALORS… ?
Il apparaît donc que le Pr Lempkin, aurait plutôt donné tort au Pr Étiemble dans la dispute évoquée supra avec le journal espagnol. Notre développement montre à quel point la dénaturation, l’affaiblissement, la réduction du langage, par décret ou toute autre pression de quelque portion de l’exécutif appartient aux techniques programmatiques des complexes génocidaires.
Dans le contexte actuel, la question est de savoir jusqu’où cela nous mènera, s’il s’agit d’une bêtise isolée, ou d’autre chose. L’avenir dira, mais d’ores et déjà, il n’est pas interdit de penser et questionner. Pas encore tout à fait…
[1] http://www.cnrtl.fr/lexicographie/génocide
[2] to denote an old practice in its modern development (http://www.preventgenocide.org/lemkin/AxisRule1944-1.htm)
[3] Axis Rule in occupied Europe
[4] Generally speaking, genocide does not necessarily mean the immediate destruction of a nation, except when accomplished by mass killings of all members of a nation.
[5] It is intended rather to signify a coordinated plan of different actions aiming at the destruction of essential foundations of the life of national groups, with the aim of annihilating the groups themselves.
[6] The objectives of such a plan would be disintegration of the political and social institutions, of culture, language, national feelings, religion, and the economic existence of national groups…
[7] and the destruction of the personal security, liberty, health, dignity, and even the lives of the individuals belonging to such groups. Genocide is directed against the national group as an entity, and the actions involved are directed against individuals, not in their individual capacity, but as members of the national group.