MACROSTRUCTURES DU POUVOIR, NATURE HUMAINE ET VENDANGES DE SANG (1)

Norbert-Bertrand Barbe a écrit une communication destinée au congrès de Vouvant sur les génocides. Son titre : « Macrostructures du pouvoir, nature humaine et vendanges de sang. » En voici un premier résumé, qui traduit le double regard de l’artiste et du philosophe saisissant « les causes logiques (idéologiques, culturelles, fonctionnelles à l’intérieur de la structure étatique) qui provoquent, en général, les massacres de populations par leurs propres États. »

Barbe pose que « cette question est présentée ici par le biais du cas vendéen, névralgique de tout état de lieux de la question du génocide. »

Il s’oppose d’entrée à l’historien Thimoty Tacket i pour qui «La vendée fut une guerre civile tragique avec des horreurs incessantes commises de part et d’autre, inaugurées, en fait par les rebelles eux-mêmes. »

À ce sujet, le Pr Grassin commente d’un humour noir : « Au fond, ils l’ont bien cherché; c’est eux qui ont commencé. » Voilà une bonne façon de recadrer l’approche de Tacket : un jugement de cour d’école par un surveillant dépassé.

Mais revenons au fond.

« Le terme génocide (d’usage assez courant) est un néologisme formé en 1944 par Raphael Lemkin, professeur de droit américain d’origine juive polonaise, à partir de la racine grecque genos, naissance, genre, espèce, et du suffixe cide, qui vient du terme latin caedere, tuer, massacrer.

Génocide a ouvert la voie à une définition légale, ainsi qu’au terme dérivé démocide (démo pour peuple) créé par R. J. Rummel (spécialiste de science politique), démocide que Barbe considère plus comme une spécification que comme une ampliation du génocide.

« En effet, alors que le génocide est le meurtre en masse, le démocide est l’ensemble des actions qui, directement ou indirectement, provoquent le massacre par une entité supérieure, en pouvoir ou en nombre d’une autre, minoritaire. »

Ayant ainsi déblayé la route, Barbe en pose la communication avec les voies de l’eugénisme terme créé par le scientifique anglais Francis Galton en 1883.

Alors que ce mot semble ramener inexorablement au régime nazi et à ses lois eugéniques, Barbe rappelle que de 1907 à 1972, de nombreux États américains ou européens ont appliqué des lois eugéniques avec stérilisation forcée. Il rappelle aussi les nombreux conflits ethniques (dont celui du Rwanda) qui, indépendamment de leurs formes et leur importance numérique, utilisent toutes les méthodes d’écrasement génétique.

Et bien naturellement, qui dit eugénique pose intuitivement la notion du meilleur génome, ou, avant l’apparition de cet outil scientifique, du meilleur groupe, auto-distingué et distinguant par des critères de ségrégationnisme, lesquels évoluent dans le domaine transcendant de l’élection sanctificatrice, et sinon dans les autres champs de l’immanence, autrement dit, des champs religieux aux laïques.

Dans celui du politique, Barbe donne de nombreux exemples provenant de tous les continents, dégageant les critères suivants :

  • L’idée de l’irremplaçabilité du dictateur

  • L’idée, parallèle [d’un] déviationisme, dangereux doublement : par la voie idéologique, puisqu’il pervertit, et par le biais politique, car […] l’État totalitaire vit toujours sur l’idée de l’imminence de l’état de siège.

  • Une modélisation qui inverse les rôles respectifs de l’État (le gouvernement) et de la nation (le peuple) […] rendant possible l’affirmation que le peuple peut être ennemi de soi-même, et le dictateur protecteur de ce qu’il n’est pas, mais de ce avec quoi il s’identifie arbitrairement, et faussement. Dit plus clairement, si l’État est le peuple, toutes ses décisions sont validées d’avance, par cette identité, et les membres de la Nation qui s’y opposent, sont rejetés » […]. »

L’explication politique descend alors vers le bon peuple par l’intermédiaire journalistique poussé par bâton ou par carotte, par condamnations ou par rachats, à divulguer « la dichotomie entre une force bénéfique absolue (Dieu, l’État) et ses déviations négatives (le Diable, l’opposant). […] »

Mais Barbe pose aussi la question de l’utilité, des aides et des usages.

« Évidemment, cette dichotomie n’est possible qu’une fois créée la hiérarchie antérieurement évoquée : l’État comme indispensable parangon de la Nation, la collectivité comme supérieure à l’individu.

» Pour cela sans doute, les intellectuels, toujours prêts à renforcer l’idéologie dominante, ont-ils dédié beaucoup de leur pensée à rappeler les méchancetés de l’âme individuelle, en reprenant l’idéologie religieuse des beautés de l’abandon à l’État (Kennedy) ou au parti (Staline, affiches du “bon sandiniste” du régime ortéguiste en 2014), d’origine religieuse (l’ascète, le moine, le curé sans salaire propre). Nous le disent Bouddha et le Christ, il faut abandonner tout désir.

» Ce total dévouement correspond, en temps de guerre, à l’utilisation absurde […] des hommes comme chair à canon.

» En temps de paix, ce sont les soumissions permanentes du droit individuel à la raison d’État, des individus face à la justice d’État.

À l’inverse, mais similairement, c’est aussi, dans le régime même du dictateur, l’élimination des anciens comparses, pour asseoir le pouvoir.

» Le problème de la permanence au pouvoir est que celui qui y prétend doit créer toutes les conditions pour imposer cette immutabilité sienne, et, dans ce processus, il doit obligatoirement acheter et pervertir les différents organes du système, le rendant instable et le remplissant d’insécurité. C’est, […] comme lors des élections Même s’il respecte les règles apparentes du jeu démocratique […] cela ne prouve au fond rien. »

Il reste cependant un champ au moins aussi complexe : celui de la culpabilité collective

« La question devient alors pourquoi et comment la dictature opère, pour que puissent exister des génocides.

» La réponse, même si l’on n’aime pas l’entendre, est aussi simple et bête que la question.

» L’humanité est méchante » , ou tout au moins attirée par les drames spectaculaires (autrefois aux jeux du cirque, aujourd’hui devant un accident de la route).

« Le dictateur seul n’est rien d’autre qu’un imbécile, qu’un fou de plus, dans son monde imaginaire, dans son asile.

» Mais le problème, comme disait Gandhi, ce sont les millions qui le suivent, et le font ce qu’il devient : un géant néfaste.

» L’eugénisme n’est pas le fait d’un intellectuel, l’holocauste n’est pas le fait d’Hitler, le massacre palestinien, les grandes purges staliniennes, tout cela demande de l’organisation, de l’attention aux détails, de la systématicité, que seul un ensemble de personnes peuvent favoriser.

» Ce sont les Mères-Patrie du III Reich étudiées par Claudia Koonz, les flagelleuses de la Révolution française, qui aimaient tremper leur mouchoir dans le sang des guillotinés.

(à suivre)

i http://en.wikipedia.org/wiki/Genocides_in_history#France

Cet article est dans la catégorie 2 La littérature s'interroge, Lettropolis transmet. Disponible sous permalien.

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